dimanche 12 février 2017

A propos du rapport de la CPC sur la réforme des formations en travail social

La CPC a rendu son rapport : répondons ensemble à la question :
Comment rendre le travail social plus rentable ?



Après quelques soucis techniques avec le blog, nous revenons avec cet article qui paraîtra dans le prochain n° papier.

La Commission Professionnelle Consultative du travail social et de l’intervention sociale (CPC) est un groupe institutionnel de réflexion qui conseille le gouvernement sur la question des formations en travail social. Dans le cadre des États Généraux du Travail Social lancés ces dernières années par le gouvernement, la CPC avait pour mission de réfléchir à des pistes pour réformer les formations des travailleurs sociaux. Elle a rendu un premier rapport intitulé « Métiers et complémentarités » en février 2015 préconisant de réduire le nombre de diplômes et d’ancrer ceux qu’il resterait dans un « socle commun », simplifiant ainsi le schéma des formations pour mieux le faire encadrer dans une logique universitaire (licence, master). Depuis cette date et même avant, les mobilisations de travailleurs sociaux se multiplient à l’appel de collectifs militants et des syndicats en travail social.

Après la présentation du Plan d’action en faveur du travail social (analyse ici) par la Ministre des Affaires Sociales et de la Santé Marisol Touraine et sa Secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion Ségolène Neuville le 21 octobre 2015, cette dernière a redemandé, en février 2016, à la CPC de penser des moyens de « moderniser » les formations. Le Ministère a imposé des thématiques de réflexion – telles que l’objectif à terme de publier un « cahier des charges qualité pour les établissements de formation » – ainsi qu’un calendrier : une nouvelle réforme des formations en travail social devra entrer en vigueur en septembre 2018.

Pour l’instant, la CPC a donc rendu un rapport d’étape fin 2016 en faisant part de l’avancement de ses travaux. Ce texte d’une vingtaine de pages reste à un niveau « conceptuel » et ne préconise encore rien d’opérationnel. Il avance cependant des principes assez révélateurs sur la vision idéologique qui sous-tend ce projet de « réingénierie ».
Le premier point que met en valeur le rapport est l’objectif de rendre plus « attractifs » les métiers du travail social pour le dynamiser davantage : le travail social se caractérisant en effet par un grand nombre de professionnels et d’activités variées, « nous avons donc une donne économique majeure, un secteur en essor dont la vitalité est sous-estimée […] Comme l’ont montré les études des observatoires, c’est un secteur dont le poids économique est supérieur, par exemple, à celui de l’informatique, des transports, des banques… » (p. 6). L’objectif est donc annoncé : rendre le travail social plus attractif pour la main-d’œuvre… mais aussi pour les investisseurs et les entrepreneurs. Cette logique était déjà très présente dans le rapport « Bourguignon » (cf. analyse citée ci-dessus).
Difficile d’interpréter ensuite l’objectif de faire du travail social une « discipline » à part entière à travers une « culture professionnelle commune » tournant autour d’un « socle commun » de compétences complété par une « spécialisation progressive ». En effet, on entrevoit ici une volonté de rendre plus « lisible » le monde du travail social aux yeux des décideurs, déconnectée d’une quelconque référence aux exigences des publics et des terrains : pourquoi uniformiser de la sorte le travail social, si ce n’est pour mieux le contrôler, le gérer, le vendre bloc par bloc ?
Cela, surtout quand on observe la mollesse des registres de compétences autour desquels la CPC préconise d’organiser le socle commun : nulle part ou presque il n’est fait référence aux notions d’émancipation individuelle ou collective et à ce qu’elles impliquent, en revanche le travailleur social doit savoir « se situer par rapport à la norme et la loi », et « promouvoir les principes et valeurs de la République », ce qui suggère un travailleur social agissant comme un missionnaire de la République, plutôt qu’un soutien psychique et social à des personnes ou des groupes justement délaissés par les dysfonctionnements de la République. Perspective un peu réductrice de se dire que les travailleurs sociaux ne sont que le service-après-vente d’une République défaillante et inégalitaire.
Le rapport affirme également souvent vouloir revaloriser le niveau de qualification (donc de reconnaissance sur les grilles réglementaires) de plusieurs diplômes, tout en pointant le risque que les salariés soient finalement perdants puisqu’il y aurait un développement des postes les moins coûteux pour les employeurs (donc les moins qualifiés) tandis que les diplômes plus qualifiés perdraient de leur attractivité en raison de la réduction du nombre postes proposés.
Cette vision cherchant une soit disant « fluidité ascentionnelle », une « simplification », une « meilleure attractivité » et une « modernisation » du travail social relève clairement d’un idéal néolibéral, qui considère qu’en plaquant autoritairement des grilles qui faciliteront la gestion des boîtes et du personnel, le secteur aura davantage de « lisibilité », sera plus moderne et plus vendeur. Surtout quand on observe le contexte de politiques d’austérité, de réductions des budgets publics, de développement des financements privés… Cette logique de réforme des formations est un nouveau pas vers la rationalisation, la marchandisation du travail social.


Prochaines dates de mobilisations :
Le 7 mars : Santé Action Sociale : Tous en grève et en manifestation

Pour continuer la réflexion : "Travail Social engagé, travail social enragé", article synthétique de fond sur la situation périlleuse du travail social, originellement paru dans Le Progrès Social, n°104, jeudi 15 septembre 2016 : disponible ici.